Translate

dimanche 22 janvier 2012

Mont Ventoux


Trois voies sont réalisables. Sault, la plus longue et la plus facile par l’Est. Malaucène, la plus courte au dénivelé inégal par le Nord et Bédoin, la plus difficile par le Sud. C’est cette dernière que je tente. Quitte à faire le Ventoux autant prendre celle-là. Si je ne le fais qu’une fois dans ma vie j’aurais pris la voie royale. D’autant que comme le dit le proverbe : « Si plusieurs chemins s’offrent à toi choisit le plus difficile, c’est celui où il y a le moins de monde ». Le dénivelé est en moyenne de 7% avec des passages à plus de 10%. Sachant que ma limite haute est de 6%, à priori, je ne vais pas pouvoir faire grand-chose. Ce qui me motive d’autant plus. L’année dernière Luc (le grand champion de la discipline en France) a poussé jusqu’au sommet en moins de 2 heures, Sébastien et Carole (d'autres champions) sous la barre des 3h.Mieux que la plupart des cyclistes qui tentent l’aventure.  Mais ce sont les meilleurs trotteurs français. Conclusion : Et d’une c’est faisable en trot, et de deux, jaloux comme je suis, pas question de leur laisser l’exclusivité d’avoir accroché le Ventoux à leur tableau de chasse. Quitte à marcher ou à courir les ¾ de la montée, je vais me le faire. Et comme je suis joueur, je choisis la pire période de l’année quant aux conditions: Fin Janvier ! Comme ça je vais justifier mon temps minable…Et puis il me nargue depuis pas mal d’années. Je le vois de toute sa masse chaque fois que je prends l’autoroute, j’ai dû annuler trois fois son ascension au dernier moment pour des problèmes de météo  et de disponibilité. Là il fait beau, j’ai la dispo, bref comme on dit dans l’aérospatiale, il y a une fenêtre de tir. Ne la ratons pas.

Si je fais du 5Km/h de moyenne (que je marche, courre ou pousse) je devrais mettre dans les 4h. La moitié d’un Millau, fastoche non ? Reste des paramètres inconnus : L’altitude, on monte à 1900m !, le vent, (on passe le col des tempêtes) il peut-être infernal (record au sommet en 1967 : 320Km/h) et le froid. Ce dernier je sais le gérer. Pour le reste on verra, je m’adapterai. La route aussi. A priori elle serait fermée l’hiver à partir du Chalet Reynard, soit 6 Km avant le sommet. Je verrai si je peux passer sinon ça me donnera une bonne raison pour abandonner avant la fin.

Le parcours : De Bédoin (Alt 350m)  jusqu’à St Estèphe (Alt 540m) 5Km de pente douce, histoire de se mettre en jambe. Là on attaque 10Km jusqu’au Chalet Reynard (Alt 1400m), soit 1000m de dénivelé, le calcul est simple : 10%. Il va donc y avoir 10 Km d’enfer. Du Chalet au sommet, 6Km où l’on prend 500m de dénivelé. Le final est presque une ballade vu ce que l’on a passé…

Cette introduction a été écrite quelques jours avant l’affrontement (car s’en est un). Maintenant place au jour J :

            Evidemment ça ne s’est pas exactement passé comme je le pensais…
                La montée

Dimanche 22 janvier, 9h30 du matin, je lance mes premières poussées sur la D974 en direction du Ventoux. Coté technique, j’ai équipé ma Racer de deux gourdes d’eau, j’ai avec moi de quoi grignoter, je me suis chargé à minima. J’ai quand même mon appareil photo pour immortaliser la chose. Coté tenue, je suis en équipement grand froid. Coté physique, je n’ai pas plus d’entraînement qu’à l’habitude. Mais j’ai mon secret : J’ai mangé des pâtes hier soir !

Il fait 13° au départ mais il y a un grand vent. Je démarre équipé complètement, il ne fait pas chaud. Les 5 premiers kilomètres d’approche sont en fait plus « pentus » que je ne le pensais. Il y a même un passage à 8%. Le vent tourne dans tous les sens avec néanmoins une tendance par l’arrière. Je tiens un petit 12 Km/h. Comme un oignon, j’enlève petit à petit mes couches, accroche mon casque à mon guidon mais je garde le bonnet, le vent reste froid. Enfin St-Estèphe et son fameux virage qui marque le début de l’ascension. Pose nutrition et étirement.



Distance
Vitesse Max
Roulage
Moyenne Roulage
Arrêts
Moyenne Globale
6 Km
20,7 Km/h
31’
11,6Km/h
5’
9,9 Km/h


 Je marche quelques temps pour voir comment se situe le dénivelé. Gulp… Même en marchant ça grimpe. Je tente une poussée mais je dépense une énergie folle pour une vitesse de 6/7 Km/h. Je préfère marcher un peu en attendant que ce soit poussable. Je tiens un 5Km/h, alors autant rester comme çà. Je passe mon temps à mettre ma cagoule, mon blouson, puis enlever ma cagoule, mon blouson. J’ouvre mon blouson, un coup de vent glacé, je le referme… J’ai chaud, j’ai froid c’est n’importe quoi. Une ligne droite, je tente une poussé, je dérape ! Le sol est humide à souhait, mes chaussures dérapent, je fais du sur place. Bon, j’attends et je marche encore. Je retente en posant le pied d’appui à l’endroit où le bitume à l’air plus sec. Je suis à 7/8 Km/h, mais une rafale me stoppe net. Et merde… Pendant les dix kilomètres qui me séparent du Chalet, je vais pratiquement marcher tout le temps. Impossible de démarrer la moindre poussée. Ca glisse et il fait froid.

Un grondement s’élève au loin. Il grandit de plus en plus. Surgit du virage derrière moi une Audi R8 (pour les ignares, c’est un truc genre Ferrari, aussi rare, large, bas et puissant mais fabriqué par Audi) qui passe à toute allure et disparaît au virage suivant. Faudra que j’en parle au papa d’Elisa (cherchez pas à comprendre c’est perso…).  Le silence reprend ses droits doucement. Quant à moi, je reprends ma marche. Et dire que ce mec va monter en une dizaine de minutes (record absolue de la montée en voiture : 6’ et quelques…).



Distance
Vitesse Max
Roulage/dont marche
Moyenne Roulage
Arrêts
Moyenne Globale
10 Km
20,7 Km/h
1h16 / 40’
7,9 Km/h
14’
6,6 Km/h



A chaque arrêt, j’en profite pour me ravitailler avec forces gels énergétiques et je bois beaucoup. A mi pente, la forêt se fait moins dense, on voit apparaître le sommet. L’humidité du sol disparaît laissant place aux rafales de vent. Toujours pas la peine de pousser. De temps en temps j’arrive à lancer la bécane quand je sens que le dénivelé diminue, mais une centaine de mètres plus loin, le % aidé par le vent m’arrête. Alors je marche et je repense à mon pote" Dexter" qui disait qu’on est là pour le paysage. Profitons en et mettons nous en plein les mirettes. Les alentours sont magnifiques, le ciel est bleu, le soleil brille. C’est déjà ça. Un seul cycliste me doublera très lentement pendant l’ascension. (c’est d’ailleurs le seul que je verrai de la journée) Il a un BTWIN basique. On papote en avançant ensemble. Il a tenté de le faire hier, trop de vent au sommet, alors il retente aujourd’hui. Pendant 5 mn, j’oublie mes crampes qui veulent se déclencher. Il s’éloigne lentement.

Chalet Reynard. 2h50’. J’y arrive en poussant avec le vent de face.



Distance
Vitesse Max
Roulage/dont marche
Moyenne Roulage
Arrêts
Moyenne Globale
15,6 Km
20,7 Km/h
2h21 / 1h40’
6,6 Km/h
28’
5,5 Km/h




Je me prends une pose en essayant de trouver un coin protégé du vent qui tourne dans tous les sens ce fourbe. Il fait toujours froid et je reste bien habillé. Je m’enfile la moitié des gâteaux que j’avais prévus, une compote et un gel énergisant. Je prends  10’ de repos complet et repart pour la dernière partie. 6Km et 500m de dénivelé positif. Maintenant le paysage est désertique. Lunaire. La route est à flanc de montagne, la vision s’étend jusqu’à la mer. Dès le début, étant protégé du vent, je peux pousser un peu. Mais au premier virage une rafale me stoppe. Je reprends la poussée, elle me re-stoppe. Ok j’ai compris je marche. La neige a fait son apparition. Le bord de la route est recouvert de « névés » et la route est traversée par des petites mares. La neige fond. La t° est donc positive mais le vent est glacial. L’altitude (on est entre 1400 et 1900 et ça monte vite) m’oblige à respirer plus profondément. Je n’arrive pas à respirer à fond par la bouche mon masque me gêne. Je l’enlève quand il n’y a pas de vent, le remet lors des rafales, etc … Mon cycliste de tout à l’heure surgit. « Je n’ai pas pu arriver au sommet. Je me suis fait jeter par terre au col, c’est trop dangereux, je redescends, bon courage et fais gaffe ». Une rafale m’arrive dans le dos et me pousse sur 50 mètre en pleine côte à 6%. Génial ! Mais elle tourne et me stoppe net. Bou-ou-ou… En marchant face au vent je regarde mon GPS. 3Km/h !! Je passe au niveau des stèles des deux cyclistes décédés lors d’une course à cet endroit. Le plus connu des deux finira sa carrière professionnelle lors d’un tour de France à cet endroit. 

Le vent est de plus en plus fort. Les rafales m’empêchent par moment de marcher. La dernière ligne droite avant le col. Il est devant moi. Le vent augmente, il hurle, c’est assourdissant. Une rafale plus forte me fait perdre l’équilibre. Je me rattrape de justesse et reste figé un genou au sol dans la position du sprinter dans les starting blocs. J’ai le col devant moi à 100m. Je mettrais 5mn à parcourir la distance courbé, avec parfois une main au sol. J’avance pas à pas en trainant la Racer. J’arrive enfin et me jette contre le muret dos au vent. 4h16’.



Distance
Vitesse Max
Roulage/dont marche
Moyenne Roulage
Arrêts
Moyenne Globale
Dénivelé positif
21,1 Km
20,7 Km/h
3h23 / 2h35’
6,2 Km/h
51’
5 Km/h
1500m




Je n’irai pas plus loin. Je reste à 1800m d’altitude. Les 650 derniers mètres avant le sommet sont impossibles à faire dans ses conditions. J’ai eu la trouille. La vraie. Pas longtemps mais quelques secondes de vraie peur. Celle où tu te sent dépassé, tu ne maîtrise rien. Je me suis fais soulever comme un fétu de paille et projeté en arrière sans pouvoir m’accrocher à quoi que ce soit. Et derrière il y a le vide… La peur étant la meilleure des assurances vie, j’arrête là. Je fais demi-tour. Je l’aurai une prochaine fois. Blotti contre mon muret j’entends le vent qui hurle au dessus de moi. J’ai un réacteur de 747 lancé à fond à quelques mètres de moi. On dirait une bête sauvage hyper agressive. Je me sens tout petit. Là où je suis elle ne me voit pas. Je passe lentement la tête de l’autre coté du mur pour apercevoir le monstre en me tenant par précaution à un poteau. De l’autre coté, il fait très beau, on voit les Alpes au loin. Paradoxal, l’image ne correspond pas au son. J’ai une bande son de film catastrophe/horreur et l’image de la petite maison dans la prairie. Les nuages passent par le col et accélèrent prenant celui-ci comme un tremplin. Ils sont projetés au dessus de moi et retombent de mon coté en se disloquant et en reprenant une autre forme. Poésie de la tempête. Les nuages jouent. C’est peut-être leur Skate park ? Tiens, il y a un cumulo-nimbus qui vient de « rentrer » un superbe « Tail-win ». Et là un stratus qui tente un « back flip ». Bien joué ! Ouaw, un cumulus vient de rater un 360°. Superbe saut,  mais il s’est vautré. Il ne ressemble plus à rien maintenant. Après quelques minutes de spectacle, il va falloir que je m’éclipse de leur terrain de jeu.

La descente

Toujours courbé, je reprends le couloir dans l’autre sens. Le vent me pousse dans le dos en hurlant « CASSE TOI, ON VEUT PAS DE TOI ICI !! ». Je résiste pour ne pas partir en courant. Je tomberais. J’ai le pack  du  XV de France qui me pousse dans le dos… Avec la vitesse je glisse sur le sol mouillé. Et passé le virage, le vent s’arrête. Comme un chien qui te poursuit toutes mâchoires dehors et qui s’arrête net quand il considère que tu as franchis sa limite territoriale. Il te regarde droit dans les yeux et semble te dire : « Ne franchit pas cette limite, sinon je te bouffe. Je ne t’ai pas eu cette fois –ci, je ne te raterai pas la prochaine foi ». Avec un homme au moins on peut négocier. Pas là. La descente va s’avérer délicate. Jusqu’au Chalet je vais subir les vents tourbillonnants et même me faire arrêter en pleine descente (à l’endroit ou le vent m’avais poussé dans le dos lors de la montée). Les mains sur les freins je descends entre 20 et 30Km/h en prenant des coups de coté, devant, derrière, je me concentre et tiens le guidon de toutes mes forces. Mes pieds se font tremper  à cause des remontée d’eau (vous savez, les petits ruisseaux dont je parlais tout à l’heure), manquait plus que ça, les pieds mouillés…J’ai les freins à blocs sinon je partirai plein pot. Tu penses 6 à 7% de pente, la bécane ne demande qu’à accélérer … Je passe le virage du Chalet dans le plus pur style glisse-skate, le corps déhanché à l’intérieur du virage à 40Km/h. Superbe ! Je plonge dans la forêt où je retrouve le sol humide. Attention aux virages, pas trop vite, d’autant que la route n’est pas fermée et que je croise des voitures et  des motos. Je ne peux pas choisir les trajectoires idéales. Je reste debout les mains sur les freins et reste à 50/55 Km/h (max atteint : 65Km/h) dans les lignes droites. Je n’ai presque plus de freins d’ailleurs. Ces V-Brakes sont vraiment de la merde sur des côtes si longues. Je revois tous les coins où je me suis arrêté tout à l’heure, où j’ai galéré. Maintenant c’est très rapide. Je revis ma montée à l’envers et en accéléré. Marrant comme sensation. Je repense à Dexter qui a poursuivi un cycliste à 80Km/h. Dans d’autres conditions bien sûr, mais à ma vitesse c’est déjà assez rapide, alors à 80Km/h même dans des conditions idéales, ce doit être impressionnant à vivre. Les rafales tournantes font « guidoner » atrocement la bécane. Je m’arrête vérifier le serrage de la roue avant, l’alignement des freins. Il ne faudrait  pas que je me vautre à cette allure. Tout va bien, je repars tranquillisé.  Je suis obligé de bloquer le cadre avec mes genoux et de m’allonger sur le guidon. La bécane ne bouge plus, mais elle accélère et je dois d’autant plus freiner. Avec la vitesse maintenant j’ai un peu froid surtout aux pieds, mais pas le temps d’y penser, je suis trop concentré. Arrivée au virage de St-Estèphe en 35’ avec une moyenne de 40Km/h pile. Je reprends les 5 derniers kilomètres en pente douce mais avec le vent de face. Il me faut pousser pour maintenir un bon 25 Km/h. Arrivée à Bédoin. C’est fini. Je jette la bécane et mon sac dans la voiture, mets le chauffage à fond  (sur les pieds) et rentre m’effondrer chez moi. Au final (et qui n’a aucune signification) j’ai couvert les 42Km aller-retour en 5h soit 8,4 Km/h de moyenne.



Distance
Vitesse Max
Roulage
Moyenne Roulage
Arrêts
Moyenne Globale
21 Km
65 Km/h
36’
34,9 Km/h
8’
28,2 Km/h


Un dicton provençal dit : « N’est pas fou celui qui monte au Ventoux, est fou celui qui y retourne ». Alors je suis totalement cinglé parce que  maintenant j’ai un compte à régler avec l’animal. La prochaine fois ce sera par Malaucène ou Sault, mais le cerbère là-haut qui garde le sommet, j’attendrai qu’il dorme …


Profil en % de la montée, kilomètre par kilomètre :


2.5
3.9
4.8
5.9
5.4
6.3*
9.4
10
10.7
9.6
9.7
10
9.2
10.1
6.7
7.1
6.7**
7.8
7.4
8.9
10.1

* :St Estèphe
** Chalet Reynard