Trois voies sont réalisables. Sault, la plus longue et
la plus facile par l’Est. Malaucène, la plus courte au dénivelé inégal par le
Nord et Bédoin, la plus difficile par le Sud. C’est cette dernière que je
tente. Quitte à faire le Ventoux autant prendre celle-là. Si je ne le fais
qu’une fois dans ma vie j’aurais pris la voie royale. D’autant que comme le dit
le proverbe : « Si plusieurs
chemins s’offrent à toi choisit le plus difficile, c’est celui où il y a le
moins de monde ». Le dénivelé est en moyenne de 7% avec des passages à
plus de 10%. Sachant que ma limite haute est de 6%, à priori, je ne vais pas
pouvoir faire grand-chose. Ce qui me motive d’autant plus. L’année dernière Luc
(le grand champion de la discipline en France) a poussé jusqu’au sommet en
moins de 2 heures, Sébastien et Carole (d'autres champions) sous la barre des
3h.Mieux que la plupart des cyclistes qui tentent l’aventure. Mais ce sont les meilleurs trotteurs
français. Conclusion : Et d’une c’est faisable en trot, et de deux, jaloux
comme je suis, pas question de leur laisser l’exclusivité d’avoir accroché le
Ventoux à leur tableau de chasse. Quitte à marcher ou à courir les ¾ de la
montée, je vais me le faire. Et comme je suis joueur, je choisis la pire
période de l’année quant aux conditions: Fin Janvier ! Comme ça je
vais justifier mon temps minable…Et puis il me nargue depuis pas mal d’années.
Je le vois de toute sa masse chaque fois que je prends l’autoroute, j’ai dû
annuler trois fois son ascension au dernier moment pour des problèmes de météo et de disponibilité. Là il fait beau, j’ai la
dispo, bref comme on dit dans l’aérospatiale, il y a une fenêtre de tir. Ne la
ratons pas.
Si je fais du 5Km/h de moyenne (que je marche, courre ou pousse) je devrais mettre dans les 4h. La
moitié d’un Millau, fastoche non ? Reste des paramètres inconnus :
L’altitude, on monte à 1900m !, le vent, (on passe le col des tempêtes) il peut-être infernal (record au sommet en 1967 : 320Km/h)
et le froid. Ce dernier je sais le gérer. Pour le reste on verra, je
m’adapterai. La route aussi. A priori elle serait fermée l’hiver à partir du
Chalet Reynard, soit 6 Km avant le sommet. Je verrai si je peux passer sinon ça
me donnera une bonne raison pour abandonner avant la fin.
Le parcours : De Bédoin (Alt 350m) jusqu’à St Estèphe (Alt 540m) 5Km de pente
douce, histoire de se mettre en jambe. Là on attaque 10Km jusqu’au Chalet
Reynard (Alt 1400m), soit 1000m de dénivelé, le calcul est simple : 10%. Il
va donc y avoir 10 Km d’enfer. Du Chalet au sommet, 6Km où l’on prend 500m de
dénivelé. Le final est presque une ballade vu ce que l’on a passé…
Cette introduction a été écrite quelques jours avant
l’affrontement (car s’en est un).
Maintenant place au jour J :
La
montée
Dimanche 22 janvier, 9h30 du matin, je lance mes
premières poussées sur la D974 en direction du Ventoux. Coté technique, j’ai
équipé ma Racer de deux gourdes d’eau, j’ai avec moi de quoi grignoter, je me
suis chargé à minima. J’ai quand même mon appareil photo pour immortaliser la
chose. Coté tenue, je suis en équipement grand froid. Coté physique, je n’ai
pas plus d’entraînement qu’à l’habitude. Mais j’ai mon secret : J’ai mangé
des pâtes hier soir !
Il fait 13° au départ mais il y a un grand vent. Je
démarre équipé complètement, il ne fait pas chaud. Les 5 premiers kilomètres
d’approche sont en fait plus « pentus »
que je ne le pensais. Il y a même un passage à 8%. Le vent tourne dans tous les
sens avec néanmoins une tendance par l’arrière. Je tiens un petit 12 Km/h.
Comme un oignon, j’enlève petit à petit mes couches, accroche mon casque à mon
guidon mais je garde le bonnet, le vent reste froid. Enfin St-Estèphe et son
fameux virage qui marque le début de l’ascension. Pose nutrition et étirement.
Distance
|
Vitesse Max
|
Roulage
|
Moyenne Roulage
|
Arrêts
|
Moyenne Globale
|
6
Km
|
20,7
Km/h
|
31’
|
11,6Km/h
|
5’
|
9,9
Km/h
|
Je marche
quelques temps pour voir comment se situe le dénivelé. Gulp… Même en marchant
ça grimpe. Je tente une poussée mais je dépense une énergie folle pour une
vitesse de 6/7 Km/h. Je préfère marcher un peu en attendant que ce soit
poussable. Je tiens un 5Km/h, alors autant rester comme çà. Je passe mon temps
à mettre ma cagoule, mon blouson, puis enlever ma cagoule, mon blouson. J’ouvre
mon blouson, un coup de vent glacé, je le referme… J’ai chaud, j’ai froid c’est
n’importe quoi. Une ligne droite, je tente une poussé, je dérape ! Le sol
est humide à souhait, mes chaussures dérapent, je fais du sur place. Bon,
j’attends et je marche encore. Je retente en posant le pied d’appui à l’endroit
où le bitume à l’air plus sec. Je suis à 7/8 Km/h, mais une rafale me stoppe
net. Et merde… Pendant les dix kilomètres qui me séparent du Chalet, je vais
pratiquement marcher tout le temps. Impossible de démarrer la moindre poussée. Ca
glisse et il fait froid.
Un grondement s’élève au loin. Il grandit de plus en
plus. Surgit du virage derrière moi une Audi R8 (pour les ignares, c’est un truc genre Ferrari, aussi rare, large, bas
et puissant mais fabriqué par Audi) qui passe à toute allure et disparaît
au virage suivant. Faudra que j’en parle au papa d’Elisa (cherchez pas à comprendre c’est perso…). Le silence reprend ses droits doucement. Quant
à moi, je reprends ma marche. Et dire que ce mec va monter en une dizaine de
minutes (record absolue de la montée en
voiture : 6’ et quelques…).
Distance
|
Vitesse Max
|
Roulage/dont marche
|
Moyenne Roulage
|
Arrêts
|
Moyenne Globale
|
10
Km
|
20,7
Km/h
|
1h16
/ 40’
|
7,9
Km/h
|
14’
|
6,6
Km/h
|
A chaque arrêt, j’en profite pour me ravitailler avec
forces gels énergétiques et je bois beaucoup. A mi pente, la forêt se fait
moins dense, on voit apparaître le sommet. L’humidité du sol disparaît laissant
place aux rafales de vent. Toujours pas la peine de pousser. De temps en temps
j’arrive à lancer la bécane quand je sens que le dénivelé diminue, mais une
centaine de mètres plus loin, le % aidé par le vent m’arrête. Alors je marche
et je repense à mon pote" Dexter" qui disait qu’on est là pour le
paysage. Profitons en et mettons nous en plein les mirettes. Les alentours sont
magnifiques, le ciel est bleu, le soleil brille. C’est déjà ça. Un seul
cycliste me doublera très lentement pendant l’ascension. (c’est d’ailleurs le seul que je verrai de la journée) Il a un BTWIN
basique. On papote en avançant ensemble. Il a tenté de le faire hier, trop de
vent au sommet, alors il retente aujourd’hui. Pendant 5 mn, j’oublie mes
crampes qui veulent se déclencher. Il s’éloigne lentement.
Chalet Reynard. 2h50’. J’y arrive en poussant avec le
vent de face.
Distance
|
Vitesse Max
|
Roulage/dont marche
|
Moyenne Roulage
|
Arrêts
|
Moyenne Globale
|
15,6
Km
|
20,7
Km/h
|
2h21
/ 1h40’
|
6,6
Km/h
|
28’
|
5,5
Km/h
|
Je me prends une pose en essayant de trouver un coin
protégé du vent qui tourne dans tous les sens ce fourbe. Il fait toujours froid
et je reste bien habillé. Je m’enfile la moitié des gâteaux que j’avais prévus,
une compote et un gel énergisant. Je prends
10’ de repos complet et repart pour la dernière partie. 6Km et 500m de
dénivelé positif. Maintenant le paysage est désertique. Lunaire. La route est à
flanc de montagne, la vision s’étend jusqu’à la mer. Dès le début, étant
protégé du vent, je peux pousser un peu. Mais au premier virage une rafale me
stoppe. Je reprends la poussée, elle me re-stoppe. Ok j’ai compris je marche.
La neige a fait son apparition. Le bord de la route est recouvert de « névés » et la route est traversée
par des petites mares. La neige fond. La t° est donc positive mais le vent est
glacial. L’altitude (on est entre 1400 et
1900 et ça monte vite) m’oblige à respirer plus profondément. Je n’arrive
pas à respirer à fond par la bouche mon masque me gêne. Je l’enlève quand il
n’y a pas de vent, le remet lors des rafales, etc … Mon cycliste de tout à
l’heure surgit. « Je n’ai pas pu
arriver au sommet. Je me suis fait jeter par terre au col, c’est trop
dangereux, je redescends, bon courage et fais gaffe ». Une rafale
m’arrive dans le dos et me pousse sur 50 mètre en pleine côte à 6%.
Génial ! Mais elle tourne et me stoppe net. Bou-ou-ou… En marchant face au
vent je regarde mon GPS. 3Km/h !! Je passe au niveau des stèles des deux
cyclistes décédés lors d’une course à cet endroit. Le plus connu des deux
finira sa carrière professionnelle lors d’un tour de France à cet endroit.
Le vent est de plus en plus fort. Les rafales m’empêchent par moment de marcher. La dernière ligne droite avant le col. Il est devant moi. Le vent augmente, il hurle, c’est assourdissant. Une rafale plus forte me fait perdre l’équilibre. Je me rattrape de justesse et reste figé un genou au sol dans la position du sprinter dans les starting blocs. J’ai le col devant moi à 100m. Je mettrais 5mn à parcourir la distance courbé, avec parfois une main au sol. J’avance pas à pas en trainant la Racer. J’arrive enfin et me jette contre le muret dos au vent. 4h16’.
Le vent est de plus en plus fort. Les rafales m’empêchent par moment de marcher. La dernière ligne droite avant le col. Il est devant moi. Le vent augmente, il hurle, c’est assourdissant. Une rafale plus forte me fait perdre l’équilibre. Je me rattrape de justesse et reste figé un genou au sol dans la position du sprinter dans les starting blocs. J’ai le col devant moi à 100m. Je mettrais 5mn à parcourir la distance courbé, avec parfois une main au sol. J’avance pas à pas en trainant la Racer. J’arrive enfin et me jette contre le muret dos au vent. 4h16’.
Distance
|
Vitesse Max
|
Roulage/dont marche
|
Moyenne Roulage
|
Arrêts
|
Moyenne Globale
|
Dénivelé positif
|
21,1
Km
|
20,7
Km/h
|
3h23
/ 2h35’
|
6,2
Km/h
|
51’
|
5
Km/h
|
1500m
|
Je n’irai pas plus loin. Je reste à 1800m d’altitude.
Les 650 derniers mètres avant le sommet sont impossibles à faire dans ses
conditions. J’ai eu la trouille. La vraie. Pas longtemps mais quelques secondes
de vraie peur. Celle où tu te sent dépassé, tu ne maîtrise rien. Je me suis
fais soulever comme un fétu de paille et projeté en arrière sans pouvoir m’accrocher
à quoi que ce soit. Et derrière il y a le vide… La peur étant la meilleure des
assurances vie, j’arrête là. Je fais demi-tour. Je l’aurai une prochaine fois.
Blotti contre mon muret j’entends le vent qui hurle au dessus de moi. J’ai un
réacteur de 747 lancé à fond à quelques mètres de moi. On dirait une bête
sauvage hyper agressive. Je me sens tout petit. Là où je suis elle ne me voit
pas. Je passe lentement la tête de l’autre coté du mur pour apercevoir le
monstre en me tenant par précaution à un poteau. De l’autre coté, il fait très
beau, on voit les Alpes au loin. Paradoxal, l’image ne correspond pas au son.
J’ai une bande son de film catastrophe/horreur et l’image de la petite maison
dans la prairie. Les nuages passent par le col et accélèrent prenant celui-ci
comme un tremplin. Ils sont projetés au dessus de moi et retombent de mon coté
en se disloquant et en reprenant une autre forme. Poésie de la tempête. Les
nuages jouent. C’est peut-être leur Skate park ? Tiens, il y a un
cumulo-nimbus qui vient de « rentrer »
un superbe « Tail-win ». Et
là un stratus qui tente un « back
flip ». Bien joué ! Ouaw, un cumulus vient de rater un 360°.
Superbe saut, mais il s’est vautré. Il
ne ressemble plus à rien maintenant. Après quelques minutes de spectacle, il va
falloir que je m’éclipse de leur terrain de jeu.
La
descente
Toujours courbé, je reprends le couloir dans l’autre
sens. Le vent me pousse dans le dos en hurlant « CASSE TOI, ON VEUT PAS DE TOI ICI !! ». Je résiste pour
ne pas partir en courant. Je tomberais. J’ai le pack du XV
de France qui me pousse dans le dos… Avec la vitesse je glisse sur le sol
mouillé. Et passé le virage, le vent s’arrête. Comme un chien qui te poursuit
toutes mâchoires dehors et qui s’arrête net quand il considère que tu as franchis
sa limite territoriale. Il te regarde droit dans les yeux et semble te
dire : « Ne franchit pas cette
limite, sinon je te bouffe. Je ne t’ai pas eu cette fois –ci, je ne te raterai
pas la prochaine foi ». Avec un homme au moins on peut négocier. Pas là. La descente va s’avérer délicate.
Jusqu’au Chalet je vais subir les vents tourbillonnants et même me faire
arrêter en pleine descente (à l’endroit
ou le vent m’avais poussé dans le dos lors de la montée). Les mains sur les
freins je descends entre 20 et 30Km/h en prenant des coups de coté, devant,
derrière, je me concentre et tiens le guidon de toutes mes forces. Mes pieds se
font tremper à cause des remontée d’eau
(vous savez, les petits ruisseaux dont je
parlais tout à l’heure), manquait plus que ça, les pieds mouillés…J’ai les
freins à blocs sinon je partirai plein pot. Tu penses 6 à 7% de pente, la
bécane ne demande qu’à accélérer … Je passe le virage du Chalet dans le plus
pur style glisse-skate, le corps déhanché à l’intérieur du virage à 40Km/h. Superbe !
Je plonge dans la forêt où je retrouve le sol humide. Attention aux virages,
pas trop vite, d’autant que la route n’est pas fermée et que je croise des
voitures et des motos. Je ne peux pas
choisir les trajectoires idéales. Je reste debout les mains sur les freins et
reste à 50/55 Km/h (max atteint :
65Km/h) dans les lignes droites. Je n’ai presque plus de freins d’ailleurs.
Ces V-Brakes sont vraiment de la merde sur des côtes si longues. Je revois tous
les coins où je me suis arrêté tout à l’heure, où j’ai galéré. Maintenant c’est
très rapide. Je revis ma montée à l’envers et en accéléré. Marrant comme
sensation. Je repense à Dexter qui a poursuivi un cycliste à 80Km/h. Dans
d’autres conditions bien sûr, mais à ma vitesse c’est déjà assez rapide, alors
à 80Km/h même dans des conditions idéales, ce doit être impressionnant à vivre.
Les rafales tournantes font « guidoner »
atrocement la bécane. Je m’arrête vérifier le serrage de la roue avant,
l’alignement des freins. Il ne faudrait
pas que je me vautre à cette allure. Tout va bien, je repars
tranquillisé. Je suis obligé de bloquer
le cadre avec mes genoux et de m’allonger sur le guidon. La bécane ne bouge
plus, mais elle accélère et je dois d’autant plus freiner. Avec la vitesse
maintenant j’ai un peu froid surtout aux pieds, mais pas le temps d’y penser,
je suis trop concentré. Arrivée au virage de St-Estèphe en 35’ avec une moyenne
de 40Km/h pile. Je reprends les 5 derniers kilomètres en pente douce mais avec
le vent de face. Il me faut pousser pour maintenir un bon 25 Km/h. Arrivée à
Bédoin. C’est fini. Je jette la bécane et mon sac dans la voiture, mets le
chauffage à fond (sur les pieds) et rentre m’effondrer chez
moi. Au final (et qui n’a aucune
signification) j’ai couvert les 42Km aller-retour en 5h soit 8,4 Km/h de
moyenne.
Distance
|
Vitesse Max
|
Roulage
|
Moyenne Roulage
|
Arrêts
|
Moyenne Globale
|
21
Km
|
65
Km/h
|
36’
|
34,9
Km/h
|
8’
|
28,2
Km/h
|
Un dicton provençal dit : « N’est pas fou celui qui monte au Ventoux,
est fou celui qui y retourne ».
Alors je suis totalement cinglé parce que
maintenant j’ai un compte à régler avec l’animal. La prochaine fois ce
sera par Malaucène ou Sault, mais le cerbère là-haut qui garde le sommet,
j’attendrai qu’il dorme …
Profil en % de la montée, kilomètre par kilomètre :
2.5
|
3.9
|
4.8
|
5.9
|
5.4
|
6.3*
|
9.4
|
10
|
10.7
|
9.6
|
9.7
|
10
|
9.2
|
10.1
|
6.7
|
7.1
|
6.7**
|
7.8
|
7.4
|
8.9
|
10.1
|
* :St Estèphe